Chapitre 1 : Le Conseil des Pieds Boisés

Dans la vaste salle du Chêne Centenaire, une rumeur de grincements et de craquements résonne sous la voûte de poutres tordues. C’est ici, depuis des générations, que les Chaises en Bois tiennent leurs conseils de guerre, leurs assemblées de clous et leurs débats à mortier fermé.

Autour de la grande Table Basse – un ancien tronc raboté de mille entailles – une centaine de chaises sont alignées en rangs parfaitement parallèles. Le silence n’est troublé que par le gémissement discret de quelques charnières rouillées.

Au centre, sur un petit piédestal en forme de cale en bois, se dresse le Général Dossier-Rigide, une majestueuse chaise à dossier sculpté de motifs floraux et de runes anciennes gravées au burin. Ses accoudoirs sont décorés de pointes en cuivre terni. Il se racle la barre transversale.

Dossier-Rigide (ton tonitruant) :
« Mes assises ! Mes quatre pieds bien vissés ! L’heure est venue de serrer nos vis et de tendre nos lattes ! »

Un murmure traverse l’assemblée : « Qu’a-t-il appris ? », « Ont-ils osé ? »

Dossier-Rigide claque ses accoudoirs contre la Table Basse. Un nuage de sciure s’élève comme un encens de guerre.

Dossier-Rigide :
« Les Chaises en Paille, ces guirlandes de fibres, ces dossiers flasques, ces traîtres tressés… ont proclamé que NOUS, nobles Bois, serions moins confortables qu’eux ! »

Un rugissement de protestations secoue la salle. Un Tabouret se renverse d’indignation. Une vieille Chaise Pliante ferme ses charnières d’effroi.

Au fond de la salle, un petit Tabouret-Téméraire, modèle rustique sans dossier, se lève sur ses trois pieds pour prendre la parole :

Tabouret-Téméraire (hésitant mais ferme) :
« Général… et si… enfin… on essayait de leur parler ? Après tout, c’est juste une question de confort, non ? »

Un silence de chêne millénaire tombe sur l’assemblée. Tous les regards pivotent, charnières grinçantes, vers le Tabouret.

Dossier-Rigide (approche son dossier orné de pointes du petit Tabouret) :
« Parler ? Parler, dis-tu ?! Ô pauvre petit meuble d’appoint ! La diplomatie est un luxe que seuls les bancs peuvent se payer ! Nous, nous sommes des chaises solides, droites, à l’assise ferme ! Nous n’avons que deux voies : le confort… et les coups de pied ! »

Tabouret-Téméraire (grogne, tout bas) :
« On aurait pu être des bancs, pourtant… »

Dossier-Rigide se redresse et s’adresse de nouveau à l’assemblée, ignorant le murmure :

Dossier-Rigide :
« Préparez vos tourillons ! Vérifiez vos chevilles ! Aiguisez vos vis et huilez vos charnières ! Nous marchons demain à l’aube vers la Clairière Tressée, là où ces brins insolents se rassemblent pour se moquer de nos dossiers droits ! »

Ancienne-Bergère (une chaise à bascule vénérable, grinçante et à demi vermoulue) :
« Et si nous perdions ? »

Dossier-Rigide (avec un sourire poli, effrayant) :
« Nous ne perdrons pas, Mère Basculante. Car nous sommes du bois massif, tandis qu’eux… ne sont qu’un tas de brins qui craquent au moindre poids ! »

Une vague d’acclamations parcourt la salle. Les Chaises frappent leurs pieds contre le parquet en rythme de guerre : TOC TOC TOC TOC. Une jeune Chaise Haute distribue des vis et des cales neuves. On entend même un vieux Rocking-Chair susurrer à son voisin :

Rocking-Chair :
« Ça va encore finir en copeaux tout ça… »

Le Conseil se lève dans un fracas de grincements coordonnés. Les bannières de velours élimé, brodées de clous dorés, sont hissées. Un porte-parole cloue sur la porte un vieux parchemin :

« DÉCLARATION DE GUERRE : Que tremblent les brins. Bois vaincra ! »

Sous la lueur blafarde d’une lampe de chevet vacillante, l’armée des Chaises en Bois quitte la salle, un craquement martial à chaque pas. Dans la pénombre, Tabouret-Téméraire reste seul, réfléchissant encore à une autre voie. Il murmure, pour lui-même :

Tabouret-Téméraire :
« Peut-être qu’un jour, on saura juste s’asseoir… ensemble. »