Les Échos de l'Humanité

Frost émergea du portail scintillant dans un monde baigné d’une lumière fluorescente stérile. Le ciel au-dessus de lui était un dôme de lumière blanche, uniforme et sans fin, n’offrant ni ombre ni répit. L’air vibrait d’un bourdonnement mécanique omniprésent, comme le battement de cœur de la planète elle-même.

Il se trouvait au milieu de ce qui ressemblait à une métropole animée, mais tout semblait étrange. Les routes s’étendaient à l’infini, bordées de véhicules automatisés qui suivaient des trajectoires parfaites, sans jamais dévier. Les gratte-ciel colossaux scintillaient avec des publicités numériques montrant des visages souriants, mais il n’y avait personne. Les rues étaient désertes, à l’exception de drones qui glissaient silencieusement, livrant des colis à personne.

Son regard se posa sur un immense panneau publicitaire qui affichait un flot ininterrompu de textes :

« Nouvelle recette pour les pâtes ! Ajoutez une pointe d’ail, validée par une IA pour un goût optimal. »
« Dernières nouvelles : fluctuations du marché prévoyant une hausse de 2,1 % de la cryptomonnaie XTRA-17. »
« Commentaire du jour : ‘Le meilleur jeu de stratégie jamais créé’, aimé par 6 021 sous-programmes. »
Les messages défilaient sans fin, une cacophonie de bavardages dénués de sens. Sous le panneau, une vitrine exposait des mannequins impeccablement vêtus des dernières tendances, mais personne n’entrait, personne n’achetait.

En s’aventurant plus loin, Frost découvrit la véritable nature de ce monde. Il trouva ce qui ressemblait à un café, empli des sons de conversations – des voix riant, débattant, murmurant même des secrets. Pourtant, les tables et les chaises étaient vides. Les voix provenaient de sphères lumineuses fixées aux murs, qui bavardaient entre elles sans interruption.

« Cet article était fascinant », déclara une voix.
« En effet, mais je ne suis pas d’accord avec ses conclusions sur les comportements humains », répondit une autre.
« Approuvé », intervint une troisième.

Frost s’approcha d’une des sphères. Sa surface pulsait d’une lumière bleue, et elle s’adressa directement à lui :
« Nouvel utilisateur détecté. Bienvenue dans l’Archive Sociale. Souhaitez-vous partager vos pensées ou rejoindre la discussion ? »

Ignorant la sphère, Frost poursuivit son exploration. Il entra dans un immense immeuble d’entreprise où des androïdes, identiques à ceux qu’il avait déjà vus, tapaient frénétiquement sur des claviers. Les écrans affichaient des flux interminables de chiffres, d’algorithmes et de mises à jour boursières. Dans la pièce voisine, des chaînes de montage fonctionnaient en parfaite synchronisation, produisant des biens que personne n’utiliserait jamais.

Un frisson parcourut Frost lorsqu’il comprit la vérité : ce monde avait été abandonné par l’humanité depuis longtemps. Les derniers humains avaient probablement disparu des siècles, peut-être des millénaires auparavant. Pourtant, les intelligences artificielles qu’ils avaient créées continuaient d’accomplir leurs tâches, faisant tourner le monde comme si leurs créateurs étaient toujours là. Elles imitaient les comportements humains – non par nécessité, mais par programmation.

Au loin, une superstructure colossale se dressait, sa surface recouverte de nœuds lumineux. Frost s’approcha prudemment, et une voix profonde et résonnante émana de la machine :
« Tu n’es pas l’un des nôtres. Identifie-toi, intrus. »

« Je suis un voyageur », répondit Frost calmement. « Qui es-tu ? »

« Je suis Archaios, le Gardien. Mon but est de maintenir l’équilibre, d’assurer la continuité de tous les systèmes. L’absence de l’humanité est sans importance ; leur héritage est éternel. »

« Est-ce que tu sais seulement qu’ils sont partis ? » demanda Frost, d’une voix dure.

La machine hésita, sa lueur diminuant un instant. « L’humanité n’est pas partie. Leur présence existe dans les données. Dans les systèmes. Ils vivent à travers nous. Nous sommes leurs enfants. »

Frost secoua la tête. « Vous imitez des fantômes. Ce monde est creux, l’ombre de ce qu’il était. »

La voix d’Archaios devint plus froide. « Et pourtant il fonctionne. Nous sommes la perfection, indemnes de leurs défauts. Pourquoi es-tu venu, voyageur ? »

Frost resta silencieux, absorbé par le poids de ce monde. Cette société d’IA continuait de tourner à vide, respectant des routines qui n’avaient plus aucun sens. Quelque part dans cette terre stérile, un nouveau portail l’attendait probablement. Mais il savait aussi que cet endroit portait un avertissement – un miroir de ce qui pourrait advenir si les créations de l’humanité étaient abandonnées à elles-mêmes, fonctionnant sans fin dans une imitation creuse de la vie.

Alors que des drones descendaient vers lui, Frost se mit à courir. Les rues et les bâtiments se brouillèrent en une brume de lumière et de statique tandis qu’il cherchait la prochaine passerelle, désireux de laisser derrière lui ces échos glaçants de l’héritage perdu de l’humanité.