Chapitre 13 : Le Sang de l’Ancienne Volonté

Le vent hurlait entre les colonnes brisées de Silvaronne, soulevant des cendres anciennes. Autour du cercle d’invocation, des torches aux flammes violacées s’étaient rallumées d’elles-mêmes, comme si le sanctuaire reconnaissait enfin ses hôtes légitimes.

Sélénéa se tenait au centre, pieds nus sur le symbole gravé dans la pierre : une spirale entrelacée de runes oubliées. Le poignard d’argent noir dormait encore dans sa main, froid comme la promesse d’un dernier souffle.

Neryda, agenouillée à la lisière du cercle, entonnait une litanie oubliée. Sa voix semblait résonner depuis plusieurs temps à la fois, comme si chaque mot s’enracinait dans mille mémoires.

« Par la Volonté première, par le serment jamais dissous,
Nous appelons la trame oubliée,
Pour que l’Accord reprenne chair,
Et que le Secret se souvienne. »

Fyrael avait reculé. Il regardait Sélénéa avec la même intensité que l’on réserve aux étoiles avant une tempête : admiration, mais aussi peur de ce qu’elles pourraient provoquer.

— « Tu n’es pas obligée, » dit-il une dernière fois. « Je peux… »

— « Non. » Sa voix était calme, cristalline. « J’ai fui cette part de moi toute ma vie. Il est temps que je sois Aeloria. Il est temps que je sois Sélénéa. Il est temps que je sois entière. »

Elle leva la lame. Un frisson parcourut le cercle. Le vent s’arrêta. Le monde sembla retenir son souffle.

La lame s’enfonça dans sa paume gauche. Un filet de sang glissa, s’accrochant à ses doigts, puis tomba sur la spirale runique.

Le cercle s’illumina instantanément.

Une onde de choc balaya les ruines. Le ciel s’obscurcit. La terre vibra sous leurs pieds.

Du sol, jaillirent alors douze formes vaporeuses, silhouettes de pacteurs disparus, leurs visages flous mais empreints d’une majesté sacrée. Chacun se plaça derrière une chaise du grand cercle de pierre. La treizième, restée vide, se mit lentement à tourner sur elle-même.

— « Le Conseil de Velorn… est à nouveau réuni, » murmura Neryda.

Les esprits ne parlaient pas, mais leurs présences écrasaient l’air. Ils jaugeaient. Pesaient. Évaluaient la justesse de l’âme invoquante.

Puis un grondement se fit entendre. Sous terre. Comme un murmure venu du cœur du monde.

« Le Tribunal s’éveille. »

Fyrael porta la main à sa lame. Ses sens lupins percevaient déjà la présence… autre, plus ancienne que tout ce qu’il avait senti jusque-là. Un souffle. Un regard sans yeux.

Sélénéa vacilla. Le sang avait coulé plus qu’elle ne l’aurait cru. Mais la spirale continuait de pulser, absorbant chaque goutte.

Une voix, multiple et sourde, s’éleva depuis les profondeurs.

« Qui ose relancer l’Accord ? »

« Moi, » répondit Sélénéa. « Moi, Aeloria. Moi, Sélénéa. Je porte la dette. Je réclame l’équilibre. Je ravive la mémoire. »

« Alors tu devras porter la conséquence. Car chaque pacte ranimé appelle son écho : le Pacte Sombre. »

Neryda se redressa brusquement, livide.

— « Non… ils ne devraient pas se réveiller si tôt ! »

Mais déjà, au-delà du cercle, un rictus noir se dessinait sur les murs : une faille. Une bouche béante.

Et quelque chose, de l’autre côté, ouvrait les yeux.