Chapitre 5 – Le Volcan Blanc

Le vent cinglait comme des lames de verre.

Perchés sur un éperon rocheux surplombant une vallée glacée, Gabriel Vorn et Li-Mei scrutaient les lueurs artificielles d’un complexe militaire dissimulé sous la neige. Le cratère du volcan — éteint, mais toujours fumant — projetait dans l’obscurité une fine colonne de vapeur. Les machines ne s’arrêtaient jamais. Des drones balayaient l’horizon. Et dans le ciel, au-dessus des crêtes, une aurore pâle dessinait de sinistres ondulations.

Gabriel plissa les yeux. Il ne voyait que des murs d’acier, des antennes et des tourelles. Mais il le sentait.

Quelque chose de vivant était là, en dessous.

— Ce n’est pas une base militaire, murmura-t-il. C’est une cage.

Li-Mei acquiesça. Son regard était grave.

— Le fragment est là-dessous. Je peux le sentir. Et avec lui… une créature ancienne. Enchaînée. Droguée. Exploitée.

Gabriel serra les dents. Depuis qu’il avait touché le premier éclat du Miroir du Ciel, son lien avec les dragons s’était renforcé. Il ressentait leur colère, leur douleur, comme un écho dans ses os. Et ici, cette douleur résonnait comme un hurlement muet.

— Il faut entrer, dit-il.

— Pas par la force. Harrow te guette.

Le nom d’Elias Harrow fit naître un frisson plus glacial que le vent. Ancien chevalier du Sanctuaire d’Arvernes, Harrow avait disparu après la guerre du Bosphore. On disait qu’il avait trahi ses frères pour une technologie interdite — un parasite d’écaille, greffé à son propre cœur.

Aujourd’hui, il dirigeait le Cercle de Glace, une organisation de chasseurs clandestins spécialisés dans la traque des dragons encore en vie. Pour lui, les dragons n’étaient ni sacrés ni mythiques. Ils étaient des sources d’énergie, de puissance brute. Des choses à soumettre.

Gabriel se redressa.

— On n’aura qu’une chance.

—

L'infiltration
La nuit les enveloppa.

Utilisant des modules de camouflage thermique, Li-Mei neutralisa les capteurs extérieurs. Ils se faufilèrent entre deux drones de patrouille, escaladèrent un pan de mur glacé, puis s’enfoncèrent dans un tunnel secondaire à moitié enseveli.

L’intérieur de la base était glacial, mais pas à cause du climat.

Le froid venait du cœur du volcan. Un froid vivant, presque conscient. Comme si quelque chose respirait dans les profondeurs… très lentement.

Ils croisèrent des containers marqués de symboles runiques, des cages renforcées par des scellés magiques. Certaines contenaient encore des traces de griffes. Ou de sang.

Au centre de la base, derrière une porte blindée, se trouvait une salle circulaire baignée d’un halo bleuté.

Et dans cette salle, suspendue entre des colonnes de glace, un dragon.

Immense. Majestueux. Enchaîné.

Ses ailes, repliées contre son flanc, portaient les marques de plusieurs opérations. Sa gueule était muselée par des câbles d’acier noir, et son regard — bien que fermé — diffusait une lumière glaciale. Son corps entier baignait dans un liquide cryogénique vibrant d’une faible pulsation.

Gabriel s’approcha, abasourdi.

— C’est lui… murmura Li-Mei. Skýrmir, le dernier dragon de givre d’Europe.

Gabriel posa une main contre la cuve. Le contact le frappa comme un coup de tonnerre mental. Il sentit un flot d’images : des montagnes, des chutes d’eau figées, une course à travers les cieux boréals. Puis… le feu. Les cris. Les chaînes.

Il se tourna vers le socle au centre de la salle.

Là, enchâssée dans une pierre rituelle gravée d’anciens caractères nordiques, reposait une clé runique de cristal. Elle pulsait à l’unisson avec sa lance, Vel’Anor.

Il tendit la main.

Mais l’alarme hurla.

—

L’affrontement
Les portes s’ouvrirent avec un fracas de métal, et une silhouette s’avança, enveloppée dans une armure noire luisante. Une lueur bleue filtrait des articulations mécaniques. Des fils pulsants serpentaient sous sa peau. Son visage était masqué, mais sa voix était indubitable.

— Vorn. Toujours à vouloir sauver des monstres.

Elias Harrow. L’œil gauche remplacé par un monocle cybernétique gravé de runes. Il dégageait une présence glaciale — littéralement. Chaque pas faisait givrer le sol.

— Et toi, toujours à vouloir les posséder, répondit Gabriel, levant Vel’Anor.

— Ce ne sont que des armes, Gabriel. L’avenir ne sera pas magique. Il sera contrôlé.

Harrow leva le bras. Un choc psychique balaya la pièce. Les machines s’activèrent. Des soldats en armure thermique surgirent. Le combat éclata.

Gabriel esquiva les tirs, para avec sa lance, transperça un des gardes. Li-Mei fendait l’air, dansait entre les balles, ses poignards sifflant comme des vipères.

Mais Harrow n’était pas pressé. Il avançait lentement… vers le socle.

— Cette clé me revient.

Puis il posa la main sur la cuve du dragon.

— Réveille-toi, bête de glace. Ton maître t’appelle.

—

L’éveil du géant
La surface de la cuve se fendit.

Un grondement sourd monta du ventre de la terre. Le liquide cryogénique se mit à bouillonner, puis éclata dans un geyser de vapeur. Un rugissement fracassa les murs.

Skýrmir s’éveilla.

D’un battement d’ailes, il brisa ses chaînes. Son souffle gela l’air, les murs, les armes. Les soldats furent réduits à des statues de glace en un clin d’œil.

Harrow tenta de résister, son armure se hérissant de runes protectrices… mais le dragon planta son regard dans le sien. Il le vit. Le vit tel qu’il était : un parasite rampant dans une coquille d’acier.

Et dans un dernier hurlement, Harrow fut figé, pétrifié dans une sculpture d’horreur glacée.

—

La clé révélée
Gabriel se releva, titubant. Il s’approcha du socle. La clé runique brillait intensément, réagissant à la présence du dragon éveillé.

Il la saisit.

Un arc lumineux jaillit. La clé fusionna avec sa lance. De nouvelles lignes runiques apparurent, gravées directement sur le métal. Un deuxième sceau venait de s’activer.

Skýrmir approcha son museau. Son souffle ne brûlait pas. Il était froid… mais rassurant.

— “Tu portes en toi la mémoire d’un pacte ancien. Je suis libre, et je volerai à nouveau. Mais tu dois savoir une chose : le prochain fragment est gardé par une âme pervertie. Une voix familière. Une traîtresse.”

Gabriel hocha la tête, grave.

— Je suis prêt.

Skýrmir ouvrit ses ailes. Dans une explosion de glace et de lumière, il fit s’effondrer la base, puis s’éleva dans les cieux, emportant Gabriel et Li-Mei sur son dos.

La nuit glaciale se fendit d’un cri de victoire.

Un dragon volait à nouveau.